Pourquoi Charles Michel sanctionne le prince Laurent
C’est l’écart de trop : en assistant aux 90 ans de l’armée chinoise sans autorisation, le prince a à nouveau dérogé aux règles. Cette fois, plus (seulement) de recadrage par le Premier ministre, qui envisage aussi une sanction financière. Après de vaines mises en garde, Charles Michel veut affirmer son autorité.
Bron: Le Soir
En postant lui-même une photo de l’événement sur Twitter, le 29 juillet dernier, le prince Laurent n’imaginait certainement pas les conséquences de sa présence au 90 e anniversaire de l’armée chinoise à l’ambassade de Pékin à Bruxelles. Pourtant, cette présence, révélée lundi par les journaux Het Nieuwsblad , De Standaard et Het Belang van Limburg, devrait lui valoir la perte d’une partie de sa dotation 2017. Sur le cliché, on voit en effet le prince poser, en uniforme militaire, aux côtés de dignitaires chinois en uniforme également. Or, depuis 2013, les membres de la famille royale ne peuvent plus rencontrer de personnalités
étrangères sans l’autorisation préalable du ministre des Affaires étrangères (lire ci-dessous). Une autorisation que Laurent n’a pas demandée, car, argumente-t-il, il s’agissait d’« une invitation personnelle ».
Résultat : il sera sanctionné. Pourquoi ? Et pourquoi cette fois, alors qu’il n’en est pas à sa première incartade ? Réponses.
1 La goutte d’eau. Ce n’est pas la première fois que Laurent transgresse les règles. Déjà sous le gouvernement Leterme, en 2011, après un voyage non autorisé au Congo, le Premier ministre Yves Leterme lui fait signer un engagement à ne pas reproduire de tels voyages ou de rencontres avec des officiels étrangers sans un accord gouvernemental. Et depuis l’installation du gouvernement suédois, Charles Michel l’a déjà tancé trois fois (lire ci-contre) : en 2015, pour avoir repris dans ses comptes annuels des dépenses purement privées ; fin 2016, pour avoir rencontré le Premier ministre sri-lankais à Bruxelles sans autorisation préalable ; et toujours en décembre 2016, pour ne pas avoir respecté son devoir de réserve en attaquant publiquement sa famille et les politiques.
Voilà donc la quatrième fois que Charles Michel doit intervenir. En moins de trois ans, cela fait beaucoup. D’autant qu’un autre problème potentiel a été évité voici quelques semaines : Laurent avait accepté l’invitation des partisans du président Erdogan d’aller parler devant la communauté turque. Le Premier a pu l’empêcher de justesse…
Résultat : le temps des admonestations « raisonnables, pesées » est passé. Puisque le prince n’en tient pas compte, le Premier ministre estime le moment venu de passer à la vitesse supérieure et de le sanctionner là où ça fait mal : via sa dotation financière. Même si « l’affaire chinoise » n’est pas jugée d’une gravité exceptionnelle. « S’il avait demandé l’autorisation , nous glisse une source gouvernementale, on aurait sans doute accepté… mais pas qu’il y aille en uniforme militaire, qui a une dimension symbolique . »
2 L’affirmation de l’autorité du Premier. Charles Michel, que son entourage disait « irrité » lundi, a d’abord demandé à ses services « d’objectiver » la situation, en collectant les informations nécessaires : qui a invité Laurent à l’ambassade chinoise ? qui était présent ? Etait-ce un événement privé/public ? etc. Il a aussi vérifié qu’aucune demande n’avait été introduite par le prince auprès du ministre des Affaires étrangères ou du Palais
Fort de ces éléments, le Premier a décidé de proposer au gouvernement de lancer la procédure légale pour appliquer « une sanction proportionnée » au prince, en se basant sur la loi de 2013 sur les dotations : elle prévoit en son article 11, en cas de non-respect des « règles de bonne conduite » par un membre de la famille royale, de « proposer à la Chambre de procéder à une retenue sur la dotation » après audition de l’intéressé.
Charles Michel convoquera donc Laurent en septembre pour entendre ses arguments. Il l’en a d’ailleurs informé lundi. Sur cette base, il proposera à la suédoise de retirer au prince une partie de sa dotation 2017 (elle est actuellement de 308.000 euros). « Pas la moitié », nous confie-t-on, puisqu’on parle de sanction proportionnée et que l’incident n’est pas gravissime – l’amiral de division Robberecht, commandant de la composante Marine, était d’ailleurs également présent à l’ambassade chinoise ce jour-là. Certains imaginent plutôt une fourchette de 10, 15 ou 20 % de perte de dotation.
Mais cette fois, la sanction tombera donc bien. Il en allait de la crédibilité du Premier ministre. « C’est une question d’autorité , nous confirme-t-on. Il ne pouvait continuer à tolérer ça. Un moment, il y a des limites. Laurent n’a pas commis de choses totalement dramatiques, mais il doit respecter les règles. Il reçoit une dotation, mais cela va de pair avec un devoir de réserve. » « L’idée est de marquer le coup , embraie un autre initié. Laurent ne va pas être convoqué tous les six mois ! Puisque la fermeté ne suffit pas, il faut passer à l’acte. Le Premier ministre est le garant du respect de l’institution monarchique et Laurent met à mal cette institution, ce qui a des conséquences sur la famille royale et le pays . »
Cela commence à bien faire , acquiesce un troisième. Le Premier ne veut pas que son autorité soit remise en doute, surtout après ses succès de juillet. »
3 L’irritation flamande. Si du côté francophone, l’affaire Laurent ne faisait pas trop de remous lundi, du côté flamand, des nationalistes, libéraux et chrétiens sont montés au créneau pour réclamer la réouverture du débat sur les dotations princières ou la suppression de la dotation de Laurent. « Cela ne va pas que Laurent reçoive de l’argent public et n’en fasse tout de même qu’à sa tête », a déclaré le député Peter Buysrogge (N-VA). « Nous devons réexaminer le régime de transition prévu pour Astrid et Laurent », affirmait de son côté le député Luc Van Biesen (VLD), évoquant le fait que la sœur et le frère du Roi continuent à bénéficier d’une dotation, alors que la loi de 2013 prévoit que désormais, seul l’héritier au trône y aura encore droit, pas ses frères et sœurs ni ceux du Roi régnant. Quant au Jeunes CD&V, ils appelaient à la suppression de la dotation d’Astrid et Laurent dès 2018.
Le débat aurait donc pu rebondir du côté flamand, où l’irritation monte. Les ministres flamands de l’équipe Michel n’ont toutefois pas fait pression sur le Premier ministre pour qu’il agisse, nous dit-on. Les sorties se sont limitées à des députés. Qui voulaient interroger Charles Michel au Parlement. Il a devancé les demandes ou les critiques en annonçant rapidement une sanction. Voilà qui devrait,
si pas éteindre l’incendie (on peut compter sur les députés indépendants ex-N-VA Wouters et Vuye pour alimenter le feu…), du moins éviter sa propagation. Et la contagion au gouvernement. Lundi soir, le CD&V et le VLD soutenaient d’ailleurs l’idée de sanction du Premier ministre.
4 Astrid en toile de fond. Certes, cet élément ne prime pas. Reste que chaque fois que Laurent dérape, c’est la question de sa dotation et de celle d’Astrid qui revient sur la table. La princesse est donc une victime collatérale potentielle, elle qui n’est pourtant pas habituée aux écarts de conduite… Voilà qui devait trotter dans la tête du Roi lorsque le Premier ministre l’a informé de sa décision de sanctionner Laurent. Décision prise en concertation avec Philippe, concerné en tant que « chef de famille » (il n’est pas compétent pour décider de sanction), précise le Palais.
Prévoir une sanction pour Laurent, seul fautif, évite à sa sœur d’être concernée, via la réouverture de ce débat sur les dotations princières considéré comme clos par le gouvernement. Sachant que si, à l’avenir, Laurent ne se soumet pas au devoir de réserve imposé à la famille royale et aux demandes d’autorisation préalable à toute rencontre avec des dignitaires étrangers, il pourrait finir par perdre l’entièreté de sa dotation, pas seulement une partie…
MARTINE DUBUISSON ■