Lutte contre la fraude : les 7 péchés capitaux
Le projet de rapport « Panama Papers » a été adopté mardi soir majorité contre opposition. La lutte contre la fraude fiscale a progressé mais la majorité a buté sur des points pourtant essentiels…
Bron: Le Soir
La Commission spéciale dite « Panama Papers », que l’on ne s’y trompe pas, avait pour objectif de renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Objectif à moitié rempli, qui se reflète dans le vote intervenu mardi en début de soirée. Le projet de rapport de la Commission spéciale a été voté majorité contre opposition après plus de huit heures de travaux qui ont avant tout mis en lumière le fossé idéologique séparant majorité et opposition. « Vous avez essayé, tout au long de la journée, de dénigrer le travail de la majorité, en voulant changer des virgules au texte proposé. Mais nous, nous avons mis une proposition sur la table même si elle ne vous plaît pas, alors que rien n’a été fait pendant que vous occupiez le pouvoir », a ainsi souligné Benoît Piedboeuf (MR). « Les recommandations ne sont pas à la hauteur des enjeux , a rétorqué Georges Gilkinet (Ecolo). Elles ont été floutées et ramollies par la majorité. »
Ahmed Laaouej, président de la Commission (PS), n’y est pas allé par quatre chemins non plus : « Il est consternant qu’une majorité en vienne à nier des évidences. Ils n’ont pas compris qu’il fallait un geste fort. Ils n’ont pas compris les attentes de la population, des professionnels du secteur, des services de l’Etat, des magistrats », a lancé le député socialiste. In fine, le PS a voté contre le rapport, le CDH et Ecolo se sont abstenus – « Je veux pouvoir encore interpeller dans de bonnes conditions le ministre des Finances » , a justifié Georges Gilkinet. Le rapport sera présenté en séance plénière de la Chambre dans les quinze jours.
Ce rapport met un terme à plus de dix-huit mois de travaux. Les experts ont en effet travaillé pendant des mois avec les parlementaires, mais la version présentée à la fin de l’été par la majorité en différait sensiblement. Certes, comme s’est plu à le dire le fer de lance de cette Commission pour la majorité, Luc Van Biesen (Open VLD), quelque 80 % des 130 recommandations sont partagées par majorité et opposition. Pour Georges Gilkinet, « on ne peut pas non plus nier qu’il y a eu des avancées, comme la protection des données, le reporting pays par pays, l’interdiction d’échanges bancaires avec les paradis fiscaux s’il n’y a pas de réalité économique ou des éléments en matière d’organisation de la justice ». C’est vrai, mais un grand nombre de points sensibles et importants ont été passés au bleu ou édulcorés dans la version finale du rapport finalement adopté. Tour d’horizon.
1
On garde (un peu) le secret bancaire. Lors de cette dernière réunion, une belle passe d’armes a notamment eu lieu sur la levée du secret bancaire. Avec l’introduction du Common Reporting Standard (CRS) au niveau international, les administrations fiscales s’échangent les données fiscales et patrimoniales de tous les contribuables. En Belgique, les banques belges transmettent bien ces informations mais elles ne sont accessibles au fisc qu’en cas de soupçon de fraude. Il y a donc une barrière importante que la majorité s’est refusée à lever…
2
Le rendement de la lutte contre la fraude fiscale restera à la discrétion du ministre. La demande des socialistes et d’Ecolo de créer un code distinct dans la déclaration fiscale pour la taxe Caïman, dont on rappellera que le gouvernement en attend 510 millions de rendements, a été refusée. Le hic, d’après la Cour des comptes, c’est que ces recettes liées à la taxe Caïman tombent dans le « pot » du précompte mobilier. Impossible de vérifier l’efficacité de la mesure, donc.
3
Les moyens de contrôle resteront ce qu’ils sont . Quelques recommandations allaient dans le sens du renforcement des moyens humains. Plusieurs intervenants experts, avaient en effet laissé entendre que l’informatique (et le data mining, soit le ciblage d’enquêtes grâce à l’informatique) ne permettait pas de compenser la perte d’effectifs ces dernières années. A l’Inspection spéciale des impôts (ISI) et au Service des rulings (SDA), notamment, le ministre a rassuré en injectant un peu plus de moyens récemment, mais la question des moyens humains reste sensible, on l’a senti très clairement.
4
Toujours pas de définition claire de la fraude fiscale grave. C’est étonnant, mais la Belgique n’est toujours pas dotée d’une définition de la lutte contre la fraude fiscale grave, organisée ou non. Or, cela crée pas mal d’incertitudes juridiques.
5
Les gros dossiers de fraude fiscale resteront soumis aux « détails » juridiques . L’opposition souhaitait qu’on ne puisse plus voir de gros dossiers être « classés sans suite » sous prétexte de petites erreurs de procédure ou de forme. Là aussi, le message n’a pas été entendu…
6
L’utilisation de l’argent liquide restera ce qu’elle est… On le sait, le nerf de la guerre, c’est la circulation de l’argent. Dans les débats, on a très bien senti du côté de l’Open VLD et de la N-VA une volonté très forte de rester très flou sur la recommandation de limiter l’utilisation du cash. Comme le disait Rob van de Velde (N-VA), «la Belgique ne va quand même pas se tirer une balle dans le pied». Le choix a donc été posé de ne pas limiter concrètement l’utilisation du cash.
7
Les paradis fiscaux resteront (un peu) paradisiaques. Aujourd’hui, il existe un seuil de 100.000 euros au-dessus duquel une déclaration de versement doit être effectuée par le contribuable (dans sa déclaration) quand de l’argent est versé dans un paradis fiscal. Les socialistes et Ecolo voulaient abroger ce seuil mais majorité et opposition ne se sont pas non plus entendues là-dessus. «Nous sommes là face à un point de désaccord majeur», a lancé, amer, le président de la Commission Ahmed Laaouej (PS). Amer au point de menacer, dans l’après-midi, de voter contre le rapport. «Si vous continuez, je n’endosserai pas votre rapport. Je voterai contre», avait-il menacé. Ce qui fut suivi des actes…
FRANÇOIS MATHIEU